Educ, infirmière : regards croisés sur l’évolution du travail en maison de repos
Ma copine Justine est éducatrice spécialisée. Elle a notamment bossé dans plusieurs maisons de repos, un secteur dans lequel Marion, infirmière, a elle aussi exercé de nombreuses années. L’une a 30 ans, l’autre 60, leurs expériences sont différentes et pourtant similaires et elles ont un énorme point commun : celui d’avoir beaucoup de choses à raconter.
Justine est éducatrice spécialisée depuis 8 ans. Elle a notamment travaillé en maison de repos et a pas mal de choses à dire sur le rôle et la fonction de l’éducateur dans ces lieux. Un métier tout nouveau et pas toujours bien compris. Marion, quant à elle, a 60 ans et est infirmière. Elle a un parcours professionnel riche et fourni, avec une expérience en maison de repos en début et en fin de carrière. Un grand écart des plus impressionnant, et surtout un bel éclairage sur les évolutions du secteur !
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Du mouroir au lieu de vie, regards sur une belle (r)évolution
"Le travail avec des personnes âgées, en fin de vie, en tant qu’éducateur, c’est surtout développer des activités pour maintenir les acquis, proposer un accompagnement individuel : par exemple aller voir des personnes qui ne viennent plus aux activités, libérer la parole, essayer de leur redonner confiance pour qu’elles reviennent, mettre en place un chariot occupationnel, proposer des bain thérapeutique, accompagner durant le deuil etc. ", note Justine, avant de rajouter : "On oublie souvent qu’il y a aussi des couples en maison de repos ! C’est difficile de prendre sa place car le métier est tout nouveau, ça ne fait pas beaucoup d’années qu’il y a des éducs en maison de repos."
Un chariot occupationnel, des bains thérapeutiques … On est très, très loin de la réalité qu’a connue Marion en début de carrière. Petit voyage dans le milieu des années 80 : "A l’époque, quand j’ai eu fini mes études, il y avait trop d’infirmières. Je n’ai pas eu le choix de mon premier boulot, qui était en maison de repos, dans un service avec 2 salles communes de 11 lits. Le service était géré par une religieuse, qui n’était pas infirmière mais qui décidait de tout et réalisait aussi des actes médicaux. Les salles communes pouvaient aller jusque 29 lits. De nos jours, ce serait impensable. Tout était fort barbare. Les gens hurlaient à la mort. Les personnes en fin de vie étaient mises dans une alcôve au fond de la salle ou dans une chambre seule. On les laissait comme ça, il n’y avait plus d’accompagnement, on attendait qu’ils meurent, simplement. Ça m’a dégoûtée."
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Un accompagnement plus complet…
Pendant une vingtaine d’années, Marion a exercé ses talents dans d’autres secteurs, pour revenir à la pratique en maison de repos il y a une dizaine d’années. Ce qu’elle en dit : "Il n’y a pas d’évolution au niveau de la manière dont on traite le personnel mais bien une immense avancée par rapport à la manière dont on traite les gens, les résidents. Ça a bien évolué, en positif. Les résidents sont bien mieux accompagnés qu’avant. Je trouve dommage qu’on ne parle pas plus de ce côté-là, qu’on parle trop du négatif. Il y a encore des choses à améliorer, mais dans l’ensemble ça va. Ce n’est plus les endroits où ça sent l’urine quand on rentre et où les gens crient. Maintenant ce sont réellement des lieux de vie pour les gens. Il y a d’autres personnels que juste le personnel de soin : des assistants sociaux, éducateurs, kinés."
Mais une place qui reste difficile à prendre !
Pour Justine, être éduc en maison de repos, c’est un challenge : "Il faut prendre sa place, montrer ce qu’un éduc peut apporter de différent et de complémentaire aux autres personnels paramédicaux, surtout avec le manque criant de personnel pour réaliser les soins élémentaires. Le secteur du soin est un secteur en souffrance, il y a un énorme manque de personnel, de grosses tensions. Ça se ressent, c’est très difficile de travailler dans cette atmosphère. Le gros problème reste celui de l’éduc qui remplace parfois les aides-soignants ou même les infirmiers pour certains soins, dont les toilettes. On est tiraillés entre le fait de rendre service, d’aider ses collègues en souffrance et celui de prendre sa place d’éduc. Si on accepte une fois, on devra continuer à le faire, il faut le savoir."
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Un conseil ?
Pour Justine, "Il faut aimer le secteur du soin, le savoir à l’avance, il y a des toilettes, de la manutention, c’est difficile de ne pas en avoir. Travailler dans de telles conditions de stress et de pression permet aussi d’apprendre à s’affirmer, à reconnaître et poser ses limites."
Pour Marion, le plus important est "Essayer d’être imperméable, de faire son boulot avec amour en ne se tracassant pas du fait de ne pas être dans les temps, de garder cette présence pour la personne à qui on va apporter ses soins, faire abstraction de la pression. Faire son métier avec passion, garder son "pourquoi" en tête." Une autre manière d’apprendre à se connaître et à s’affirmer en somme.
MF - travailleuse sociale
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